Le sourire de Lorraine
En tant que psychologue, j’étudie beaucoup, j’accumule les formations professionnelles données par des professionnels expérimentés et reconnus et j’apprends beaucoup de choses intéressantes et pertinentes pour mon métier et ma vie personnelle.
Mais je dirais que les leçons qui m’ont été le plus utiles, tant au niveau professionnel que personnel, m’ont été enseignées par des gens « ordinaires » de mon quotidien. Dont celle-ci: « Dans la vie, rien n’est aussi beau qu’on le souhaitait, mais, heureusement, rien n’est aussi pire qu’on le craignait. » Et « Tout finit par passer« . Encourageant, non ? Ça permet de relativiser quand quelque chose de désagréable survient.
Mais je dirais que les plus grandes leçons de vie, que j’essaie d’appliquer et de transmettre à mes clients, me proviennent de ma cousine Lorraine. Lorraine est reconnue pour avoir toujours le sourire, un sourire éclatant, chaleureux, qui illumine son entourage. Et pourtant, elle n’a pas vraiment de raison de sourire continuellement: elle est en chaise roulante depuis des années et incapable du moindre mouvement. Pas même capable de se tenir droite dans sa chaise roulante, encore moins se lever ou manger seule. Et pourtant, personne dans sa famille ne la perçoit comme une handicapée: elle participe à toutes les réunions familiales, elle a un grand cercle d’amis, elle se promène en voiture avec son conjoint et va jouer au casino à l’occasion. Bref, elle a une vie plutôt bien remplie. Et elle a un sens de l’humour réjouissant !
Sonja Lyubomirsky dit que le bonheur dépend à 50 % de nos gênes, à 10 % seulement des événements et à 40 % de nos attitudes et comportements. Lorraine en est l’exemple parfait. Elle a choisi de profiter de la vie, de sourire continuellement plutôt que de se plaindre [i]. Et pourtant, elle aurait beaucoup de raisons de se plaindre et d’adopter une attitude de victime. Sa situation physique est plus que difficile, son autonomie est nulle, les soins médicaux nécessaires démolissent le budget familial, etc. Mais Lorraine a fait le choix (et l’applique quotidiennement) de sourire à la vie. Et elle est heureuse, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Soyons réaliste: Lorraine n’est pas « utile ». Elle ne travaille plus depuis longtemps, ne peut pas entretenir sa maison, elle ne peut même pas passer le sel à table. Et pourtant, elle fait une différence extraordinaire dans la vie de ceux qui la connaissent juste par sa présence. Tout le monde l’aime. Pas à cause de son « utilité », pas à cause de ce qu’elle « fait » pour les autres. Juste parce qu’elle est Elle, authentiquement elle, sans essayer d’être une autre, sans essayer de plaire ou craindre de déplaire. Elle est Elle, si attachante, si aimable et si aimante. Elle est la preuve vivante qu’on n’a pas besoin de « faire » quelque chose pour être aimé, d’être utile aux autres pour mériter leur affection. On aime les gens pour ce qu’ils sont et on est aimé pour ce qu’on est. Tout simplement.
Lorraine aime les gens et surtout elle aime la vie. Elle profite de chaque moment autant qu’elle le peut malgré ses limites importantes. En fait, jusqu’à ces dernières années, elle avait une vie plus active et plus sociale que la mienne ! Elle a savouré tous les petits plaisirs qui s’offraient à elle. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, il y avait suffisamment de moments agréables pour qu’elle souhaite vivre le plus longtemps possible entourée de ceux qu’elle aime.
Lorraine a besoin d’aide pour toutes ses activités quotidiennes. Et elle apprécie l’aide que les gens lui donnent, sans se plaindre de ce que d’autres ne lui donnent pas. Elle a développé une attitude de gratitude extraordinaire. Les recherches démontrent qu’une attitude de gratitude augmente le bien-être psychologique. Lorraine se fout pas mal des recherches en psychologie positive ! Elle a choisi de VIVRE la gratitude. Au lieu de porter son attention sur ce qui lui manque (et il y a beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas très bien dans sa vie), elle se concentre sur ce qu’elle a, sur les gens qui l’entourent, l’aident et l’aiment. Et son dernier message a été de dire merci à tous ces gens qui l’entourent. Car Lorraine est partie le 8 octobre dernier …
C’est à moi maintenant de te dire merci: merci d’avoir enrichi nos vies, merci de m’avoir, sans même le savoir, tant appris sur la façon de vivre et d’être heureux, merci pour l’impact positif que tu as eu sur ton entourage proche et même éloigné (mes clients profitent de ton savoir-être), merci de nous avoir donné le meilleur de toi et de nous avoir permis de donner le meilleur de nous en prenant soin de toi. Merci d’avoir vécu parmi nous…
On pourrait penser que la mort d’une personne met un terme à la relation. Faire son deuil n’est pas oublier la personne aimée, c’est établir une autre forme de relation. Monbourquette [ii] mentionne que la dernière étape est l’intégration de l’héritage que la personne nous a laissé. J’en ai pour toute une vie à intégrer ce que Lorraine vivait de façon si naturelle. C’était ma petite cousine, mais c’est surtout une grande Dame. Au revoir Lorraine.
[i] Avis à tous: je ne souhaite pas culpabiliser ceux qui se plaignent de leurs souffrances. Cela fait vraiment du bien de pleurer et de nommer ses difficultés. Et de s’accueillir avec compassion (ma prochaine infolettre). Je le fais parfois et ça soulage. Je suggère simplement qu’une attitude généralisée de plainte et de victime n’est pas la meilleure façon d’être heureux.
[ii] Grandir – Aimer, perdre et grandir, de Jean Monbourquette, un livre pour passer au-travers des étapes du deuil.
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